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Un « lab territorial » pour écrire collectivement l’avenir de Fos-Berre

GOMET’ 06.04.2023

L’État a lancé mercredi 29 mars à Istres le « lab territorial ». Trente citoyens et cinquante personnes issus de la société civile ou du monde économique vont devoir s’écouter pour « co-construire » l’avenir industriel de Fos-Berre, et définir ensemble une « vision commune » à horizon 2040.

Mercredi 29 mars, en fin d’après-midi, l’État a officiellement lancé, depuis les locaux de l’association de formation professionnelle des adultes (Afpa) Istres, son « laboratoire territorial industrie Fos- Berre. » Une entité également présentée sous le nom raccourci de « lab territorial ». La démarche concerne dans sa première phase les 21 communes de l’arrondissement d’Istres. Elle doit rassembler citoyens, associations, syndicats élus et industriels autour d’une même table, afin que chacun s’exprime sur les projets à venir et donne sa vision de la zone à horizon 2040.

La réflexion vise à favoriser, dans un bassin de 41 500 emplois, un développement industriel jugé « indispensable » par Nicole Joulia, la première adjointe istréenne, en intégrant à la fois les nouveaux enjeux environnementaux, et la volonté citoyenne. « Nous vivons un moment important, peut-être inédit », commente le préfet de région, Christophe Mirmand. Il a chargé Régis Passerieux, le sous-préfet de l’arrondissement d’Istres, de coordonner cette expérience. Pour convaincre, l’État veut diffuser la « culture industrielle » au sein du collège d’acteurs rassemblés.

L’État veut faire de Fos-Berre un laboratoire de l’industrie décarbonée

L’État ne veut pas rater le coche dans la zone de Fos-Berre. « La révolution de l’industrie verte va redistribuer les cartes de l’attractivité à l’échelle européenne », soutient Christophe Mirmand. Le préfet envisage ce « lab territorial » comme un outil pour « prévoir les conditions dans lesquelles ces nouvelles activités tournées vers la décarbonation pourront s’installer sur le territoire. » Une démarche complémentaire aux précédentes manœuvres effectuées par l’État pour relancer l’industrie locale.

Le bassin de Fos-Berre est en effet lauréat du dispositif national « zone industrielle bas carbone » (Zibac). Ce programme doit notamment permettre aux investisseurs, et aux collectivités, de définir une « trajectoire de décarbonation » sur l’ensemble de la zone. Il débutera le 9 avril avec neuf millions d’euros de budget engagés pour une trentaine d’études de faisabilité cofinancées par l’État.

Sans oublier le plan national France 2030, qui dispose de 54 milliards d’euros pour relancer et moderniser l’économie tricolore. Une partie de cette enveloppe est d’ailleurs fléchée sur la décarbonation du pourtour de l’Étang de Berre. Mais le temps presse : la zone d’activités concentre aujourd’hui plus de 20% des émissions de CO2 françaises selon Anne-Marie Perez, la déléguée régionale de France Hydrogène.

Un collège hétérogène de 80 membres à fédérer

Le lab territorial est composé de 80 membres, dont 30 citoyens volontaires et 50 personnalités qualifiées issues de la société civile (élus, universitaires, associatifs...) ou du monde économique local. On retrouve notamment dans cette dernière catégorie des représentants d’ArcelorMittal Méditerranée ou encore de LyondellBasell Berre, des industriels bien implantés sur le bassin. Tous étaient réunis mercredi soir dans l’amphithéâtre de l’Afpa à Istres, et répartis au sein de quatre comités.

Les quatre comités du lab territorial

  • Le comité de pilotage
  • Le comité des élus
  • Le comité scientifique et d’expertise
  • Le collège citoyen

Alors que la plupart des citoyens, syndicats et associations volontaires attendaient un premier dialogue dans l’assemblée, les prises de paroles des officiels ont occupé la majeure partie de la soirée. Après les représentants de la préfecture, puis de la mairie d’Istres, Kévin Polizzi prend la parole. Le serial-entrepreneur marseillais, qui plaide en faveur d’une digitalisation de l’industrie, va mettre son site aixois TheCamp à disposition du comité scientifique.

Enfin, les grands témoins du lab territorial, Muriel Andrieu-Semmel, ancienne responsable de la santé environnement à l’agence régionale de santé (ARS), aujourd’hui directrice de la transition écologique à la Ville de Marseille, et Philippe Sauquet, actuel président du cabinet de conseil parisien KréVal après 30 ans passés chez Total, ont eux aussi défendu la nécessité de poursuivre le développement de l’industrie sur le pourtour de l’Étang de Berre.

Un « lab territorial » pour réconcilier industriels et populations

Dans les faits, le lab territorial de Fos-Berre ne sera pas une structure décisionnelle. Mais il doit permettre, selon la préfecture, de multiplier les échanges entre les acteurs, de diffuser des indicateurs précis, et de mettre en place des ateliers de co-construction. Une manière pour l’État de justifier de lourds investissements et de favoriser l’acceptation des populations. Christophe Mirmand le concède : l’industrie à Fos-Berre, « ce sont aussi des cheminés qui fument, et des chaînent de camions ».

La défiance, voire l’intolérance des populations vis-à-vis de cette activité est d’ailleurs « une source de préoccupations pour les pouvoirs publics locaux », signale le représentant de l’État. À travers le lab territorial, Christophe Mirmand veut surtout mettre en avant les « aspects positifs » de l’industrie, notamment la création d’emplois, et pas uniquement le partage de données sur la qualité de l’air et la pollution – des problématiques déjà abordées depuis 2019 sur la plateforme « Réponses ».

En augmentant la « lisibilité et la transparence » des dossiers d’implantation ou de développement, Régis Passerieux, espère quant à lui « éviter les situations absurdes de blocage ». Et ce, le plus en amont possible de la phase de concertation publique afin de limiter « les pertes de temps », dit-il.

Sur le bassin de Fos-Berre, certains investisseurs ont en effet déjà été contraints de faire machine arrière, ou de modifier leur projet, face à l’hostilité d’une partie de la population locale, dont la tolérance à l’activité industrielle s’est effritée au fil des années. À l’inverse, la vigilance des riverains concernant les impacts des installations sur la santé, le cadre de vie et l’environnement s’est renforcée.

On pense notamment au projet d’usine de peinture pour l’aéronautique porté par Satys à Marignane, rejeté par les riverains et les pouvoirs publics locaux, avant d’être avorté en 2021. Mais également à la levée de boucliers que connaît aujourd’hui le projet de raffinerie à « biocarburants » Hynovera, à Gardanne. Le maître d’ouvrage Hy2Gen a d’ailleurs revu ses ambitions à la baisse et repoussé de deux ans la mise en service de l’usine après une concertation publique houleuse.

Citoyens et associations attendent plus d’échanges

Les 80 participants ont effectué ensemble, dans l’amphithéâtre de l’Afpa, une première contribution au cours d’un exercice ludique élaboré par l’agence de communication Nicaya Conseil. Depuis la plateforme en ligne Wooclap, chacun a pu répondre brièvement, depuis son smartphone, à une série de questions : « quelles sont vos craintes ? » ou encore « quelles sont vos attentes ? » Les mots-clés adressés par les citoyens, industriels, élus et associatifs ont été projetés instantanément et sans filtre devant l’assemblée.

Les cinq mots-clés les plus transmis par les 80 participants en réponse à la question...

  • Quels sont les enjeux d’avenir du territoire ?

emploi ; décarbonation ; environnement ; santé ; développement durable

  • Quelles sont vos attentes vis-à-vis du lab ?

écoute ; dialogue ; concertation ; transparence ; formation

  • Quelles sont vos craintes ?

manipulation ; greenwashing ; dogmatisme ; Macron ; inutile

Mais pour les échanges de vive voix entre les différentes familles de participants, il faudra encore patienter. « Je suis un peu frustrée du manque de dialogues en plénière », témoigne Katy, habitante de Martigues, ancienne de la Dreal et membre du comité citoyen, avant d’ajouter : « j’aurais aimé pouvoir poser des questions sur la stratégie et la trajectoire à vingt ans (...) Je me pose des questions sur le sérieux de la démarche. »

Même son de cloche du côte de ce président d’association, rencontré à l’issu de la séance. « Il n’y a pas eu de véritables interactions, ou alors très rapides, ce n’est pas suffisant pour rentrer dans le vif du sujet », regrette Romuald Meunier, à la tête de la structure MCTB Golfe de Fos Environnement. « J’espère que chacun pourra s’exprimer. » Lui se dit favorable au développement de l’activité industrielle, mais dans le respect des normes environnementales.

La première phase s’achèvera en septembre 2023

Cette séance du 29 mars s’inscrit dans la phase d’émergence. La suite du programme sera rythmée par l’organisation de plusieurs ateliers. Le premier d’entre eux, consacré au partage des connaissances, aura lieu le 13 avril prochain. Trois autres rendez-vous sont programmés les 25 mai, 22 juin, puis 7 septembre.

Puis la phase de fonctionnement commencera, avec la mise en œuvre des orientations et actions issues de la première étape. Reste à savoir dans quelle mesure seront prises en compte la parole et la contribution citoyenne. Le lab territorial Fos-Berre devrait également inclure à terme le territoire de Gardanne.